Jacques Pous, militant
anti-colonialiste, a été professeur
de français bénévole durant
3 mois à Bethléem. Réfractaire
de l'armée française durant la guerre
d'Algérie, resté fidèle à
ses engagements de fraternité et de solidarité
avec les peuples opprimés, il livre dans
ce récit, le drame quotidien du peuple
palestinien.
"On a beau dire ce que l'on voit, ce
que l'on voit ne loge jamais dans ce que l'on
dit."
Michel Foucault.
10 décembre 2005 : après
trois mois passés à Bethléem
je reviens de Palestine. En France, une question
fait alors la une des médias ; elle concerne
le caractère supposé positif de
la colonisation.: un de ces débats comme
les adorent les Français lorsqu'ils veulent
occulter la réalité. Pourtant, si
l'on veut apprécier à sa juste valeur
ce qu'est et donc ce qu'a été le
colonialisme il n'est pas nécessaire de
se pencher sur les livres d'histoire, il suffit
de regarder ce qui se passe en Palestine occupée
; mais encore faudrait-il n'être ni aveugle,
ni sourd, ni autiste.
Le colonialisme sioniste, comme tous ceux qui
l'ont précédé, ne peut en
effet prospérer qu'en s'enracinant dans
le mensonge, la fiction ou le déni. Mensonge
des mots que les médias utilisent ; ainsi,
là où il y a un mur de 8 à
10 mètres de haut qui balafre et enlaidit
le paysage, la quasi totalité de la corporation
journalistique ne voit qu'une barrière
dite "de sécurité" (définition
de barrière dans le Petit Robert : assemblage
de pièces de bois, de métal qui
ferme un passage, sert de clôture. Voir
clôture, haie, palissade !). Pourquoi
ne parle-t-on pas plutôt de "haie de
sécurité" ? Ce serait quand
même plus champêtre et plus agréable
à vivre pour les Palestiniens ! Là
où il y a des résistants, les mêmes
ne voient que des terroristes. Pour désigner
les bantoustans où des centaines de milliers
de Palestiniens subissent une occupation qui,
par sa violence et son inflexibilité, a
peu d'équivalent dans l'histoire des colonisations,
les médias respectueux ne parlent que de
territoires alors qu'il s'agit, bien entendu,
de territoires occupés.
Par ailleurs, on nous demande d'admettre comme
allant de soi qu'il devrait exister, pour des
occupants qui spolient jour après jour
les terres et les biens des autres, un quelconque
droit à la sécurité ; on
nous demande aussi de trouver légitime
que des Russes, des Américains, des Français,
des Éthiopiens, etc…, quelle que
soit leur appartenance religieuse, puissent revendiquer,
au nom de mythes vieux de plus de 2000 ans, un
droit de propriété exclusif sur
une terre peuplée depuis des siècles
par d'autres ; on nous somme enfin d'admirer le
modèle démocratique d'un pays qui,
depuis sa naissance, a élu démocratiquement
un quarteron de dirigeants ( Ben Gourion, Begin,
Shamir, Sharon ) qui auraient dû, s'il n'existait
pas "deux poids, deux mesures", être
jugés comme de vulgaires criminels de guerre.
A ceux qui ne savent pas ce qu'est le colonialisme,
je conseille de venir vivre quelques mois en Palestine
; ils verront que le colonialisme c'est la destruction
de la société autochtone, de ses
structures économiques et politiques, le
cantonnement, comme en Algérie, des populations
colonisées dans les zones les moins fertiles,
l'accaparement de l'eau et des terres (comme le
fait Israël, depuis 1967, dans la vallée
du Jourdain et partout ailleurs). Le colonialisme,
c'est aussi le déni de la souffrance de
l'Autre (si Israël reconnaissait au moins
sa part de responsabilité dans ce que les
Palestiniens subissent, beaucoup y verraient sûrement
un geste de bonne volonté et la possibilité
d'entamer un dialogue); le colonialisme, c'est
le déni de la culture et de la religion
de l'Autre : c'est, par exemple, à Jérusalem,
le musée archéologique de Palestine,
rebaptisé musée Rockefeller, dépouillé,
depuis 1967, de ses plus belles pièces
et laissé à l'abandon ; ce sont
les mosquées détruites, ce sont
les mosquées profanées comme celle
de Césarée, reconvertie en café
- restaurant (le Charlie's bar) ou celle
de Tibériade transformée, après
que la ville ait été vidée
de sa population palestinienne, en simple décor
touristique. Le colonialisme, ce sont encore les
chrétiens de Bethléem qui ne peuvent
que très difficilement se rendre à
Nazareth (l'obtention d'un éventuel permis
d'une journée exige en effet de longues
heures de démarches humiliantes), ce sont
les musulmans de Bethléem qui ne peuvent
aller prier, à quelques kilomètres
de chez eux, à Jérusalem, au Haram
esh-Sharif (l'esplanade des mosquées),
le troisième Lieu Saint de l'Islam. Mais,
nous dira-t-on, et c'est ce qu'ont dit les députés
français au sujet de la colonisation en
Afrique, le colonialisme construit des routes,
des barrages, des adductions d'eau, il fait fleurir
le désert, il développe l'agriculture,
l'industrie et le commerce ; il favorise la libre
circulation des biens et des personnes…
Il y a, en effet, en Palestine occupée,
de magnifiques routes de contournement (by
pass roads) qui mènent aux colonies
mais sont interdites aux Palestiniens ! Mais pourquoi
se plaindre puisqu'on peut, comme cela m'est arrivé,
faire un aller-retour Bethléem - Naplouse
en seize heures au lieu de deux, emprunter les
belles routes palestiniennes qui vous obligent
à contourner les colonies, à faire
en plus d'une heure ce que l'on pourrait faire
en dix minutes, à passer sous des routes
interdites où circulent aussi facilement
que chez nous des voitures qui ont le privilège,
elles, d'avoir les plaques minéralogiques
israéliennes.
Enfin, dans un système colonial, ce sont
surtout les plus faibles qui souffrent, les enfants
en particulier ; j'ai pu malheureusement le constater
au cours des nombreuses visites que j'ai faites
auprès des enfants qu'en collaboration
avec Inash al-Usra nous parrainons ; c'est, à
Bethléem, Ibrahim dont le père,
bloqué à un check-point, est décédé
faute de soins ; à El Janiya, c'est Amir,
le benjamin de 6 enfants, dont le père
souffre de troubles mentaux à la suite
des coups reçus de la part des Israéliens
; c'est Ahmad, dans une famille de 10 enfants
dont le fils aîné a fait 16 mois
de prison, qui végète dans le camp
de Al-Aroop ; c'est, dans le camp de Talouza,
Ameer, ses parents, ses 5 frères et ses
2 sœurs qui, après plus de 50 ans,
rêvent encore du jour où ils pourront
retourner dans leur ville de Haïfa ; c'est
enfin, à Al Qatanna, Nadia (13 ans) dont
le père a été emprisonné
à vie quand elle avait deux mois et auquel
elle ne peut rendre visite que tous les deux ou
trois ans, selon le bon vouloir des autorités
d'occupation.
Ainsi en va-t-il du quotidien des Palestiniens,
fait de souffrance, de frustration, d'humiliation
et de résistance. Aucun discours sur l'antisionisme,
l'antisémitisme ou la diabolisation supposée
d'Israël ne pourra occulter cette réalité
; les faits sont têtus ; il s'agit seulement
de les faire connaître. Quant à notre
Occident, il serait temps qu'il en finisse avec
ses ingérences. Durant des siècles,
nous n'avons eu de cesse d'apporter à l'Autre
d'abord la vraie religion, puis la civilisation
et la modernité et enfin les Droits humains
et la démocratie ; il serait temps que
cela cesse. Les Palestiniens ne veulent plus qu'on
leur dise pour qui ils auraient ou non le droit
de voter ; ils ne veulent plus que l'on accorde
le droit du retour à ceux qui ne sont jamais
partis et qu'on le refuse à ceux qui ont
été chassés de leurs maisons
et de leurs terres ; ils ne veulent plus de faits
accomplis qui créeraient le Droit ; ils
pensent que tout peuple a le droit de vivre libre
et c'est pourquoi ils affirment que la lutte contre
toute forme de colonialisme a été
et sera toujours légitime.
Jacques Pous
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