Il est encore possible de passer de délicieux
moments en Palestine occupée. Ils sont
rares mais d’autant plus intenses. Lorsque
nous sommes arrivés à Deir Istiya,
petit village de la région de Salfit,
au sud de Naplouse, la beauté des champs
d’oliviers s’étendant à
perte de vue sur les collines sur lesquelles
perchent encore quelques petits villages étincelants
de blancheur nous a éblouis. C’était
le soir, il faisait encore chaud et la luminosité
teintait de mauve les feuilles veloutées
des oliviers. Dès ce moment nous avons
compris tout l’amour que le peuple palestinien
porte à ces arbres légendaires
et qui sont le symbole de leur attachement à
leur terre.
Nous nous sommes rendus à nouveau en
Palestine, cette fois pour la récolte
des olives, avec une mission
civile du Collectif Urgence Palestine-Suisse
du 24 octobre au 11 novembre 2007 sous l’égide
du PARC (Palestinian
Agricultural Relief Committee). Notre objectif
était de tenter d’encadrer les
familles palestiniennes afin qu’elles
puissent récolter leurs olives sans être
troublées par des attaques de colons
ou le harcèlement de l’armée
israélienne. Les familles possédant
des oliviers, quel qu’en soit le nombre,
doivent obtenir des autorisations de l’administration
civile israélienne pour récolter
leurs olives; que leur terre soit du «bon»
côté du Mur en Cisjordanie ou qu’elle
se situe de l’autre côté
du tracé. Ces autorisations sont délivrées
au compte-goutte ou pas du tout, dépendant
de… nous ne savons pas de quoi au juste
et les palestiniens non plus! Elles ne concernent
pas seulement la récolte elle-même
mais aussi le nombre de personnes autorisées
à la cueillette. Par exemple, une des
familles avait 50 arbres et un seul permis avait
été délivré; une
autre en avait 140 et avait reçu deux
permis. Dans un groupe de villages près
de Zababdé, dans la région de
Jenin, 600 familles possédant des oliviers
se sont vu attribuer 30 autorisations en 2006
et aucune en 2007. Ces autorisations étant
octroyées d’une manière
arbitraire, certaines familles en reçoivent,
d’autres pas, il n’est pas difficile
d’imaginer le climat de suspicion que
ceci pourrait susciter entre elles. Mais les
palestiniens le savent et il en résulte
plutôt une solidarité accrue. Quand
on connaît le travail très fatiguant
de la récolte d’olives et quand
on sait que ces familles en dépendent
pour vivre, le but poursuivi par les occupants
est on ne peut plus clair. En outre, cette cueillette
doit s’effectuer pendant une période
et des horaires journaliers déterminés
par les autorités israéliennes.
Il est évident qu’il est absolument
impossible pour une seule personne de récolter
les olives de 50 oliviers pendant le laps de
temps autorisé.
Deir Istiya est une petite bourgade de 4000
habitants. Elle est entourée par neuf
colonies et entre les 2.800 hectares de terre
confisquée pour leur implantation et
la construction du
mur il ne reste aux habitants qu’à
peine 700 hectares cultivables, dont 200 sont
consacrées aux oliveraies, sur les 3.500
hectares appartenant à l’origine
au village et à ses environs. Afin d’encadrer
le maximum de familles, la mission s’était
divisée en deux groupes et nous avons
aidé en tout huit familles pendant six
jours. Le travail de récolte est certes
fatiguant mais l’ambiance est tellement
sympathique que nous en oublions les douleurs
de dos, de genoux, la chaleur (la température
est parfois montée à 36°),
la poussière et surtout l’atmosphère
pesante des colonies environnantes et des patrouilles
militaires. Nous retournions le soir à
la municipalité du village qui nous logeait
dans deux de leurs salles, fourbus mais heureux
d’avoir passé de si bons moments
avec les palestiniens. Ce logement, bien que
rudimentaire, était magnifique car la
municipalité est installée dans
un ancien édifice ottoman que les habitants
du village restaurent fièrement petit
à petit et dormir dans un tel cadre,
même sur un matelas à même
le sol, était magique.
Comme la municipalité jouxtait une
mosquée, l’appel du muezzin nous
réveillait à 5 heures et, après
encore une petite heure de sommeil, nous partions
pour les oliveraies à 7h. Dépendant
du champ dans lequel nous devions travailler,
un petit bus venait nous chercher mais, la plupart
du temps, nous avions à faire une marche
de parfois une heure parmi des pierres et des
broussailles (qu’il est interdit aux palestiniens
de tailler sous le prétexte fallacieux
de conserver intacte la biodiversité),
mais tout ceci dans un cadre enchanteur. Le
soleil du petit matin sur la terre rouge des
collines couvertes d’oliviers nous laisse
encore nostalgiques un mois après notre
retour. Les grandes bâches étaient
aussitôt étalées autour
des arbres et la cueillette commençait.
Les
olives se cueillent une à une ou, quand
il y en a plusieurs sur une petite branche,
on peut glisser sa main le long de la branche
et en attraper plusieurs à la fois. Des
cueilleurs (ou cueilleuses) montent dans l’arbre
et laissent tomber les olives sur la bâche
pendant que d’autres avec un bâton
font tomber les olives inaccessibles par main
d’homme alors qu’un troisième
groupe cueille les olives sur les branches basses.
D’autres encore les trient en enlevant
les petites branches et l’excès
de feuilles avant de les mettre dans des seaux
puis dans les sacs. Quand il ne reste plus une
seule olive sur l’arbre et quand elles
sont groupées sur une seule bâche
pour le tri, les autres bâches sont tout
de suite étalées sous un autre
arbre et tout recommence. Vers 9h30 les familles
préparent du thé sur place en
allumant un feu entre deux grosses pierres et
en ajoutant de la sauge sauvage cueillie dans
les champs aux alentours. Cet arrêt d’un
quart d’heure en sirotant ce thé
parfumé est plus que bienvenu pour des
néophytes comme nous. La cueillette continue
jusqu’à midi, heure à laquelle
les familles préparent à l’ombre
d’un grand olivier un pique-nique composé
d’houmous à l’huile d’olive
fraichement pressée, de tomates, de salade
de concombre, de sardines, d’œufs
et de pain pita. Ce repas, d’une durée
de 30 à 45 minutes, est un moment hors
du temps. Nous déjeunons tous ensemble
et rions et plaisantons avec les membres de
la famille. Certains parlent l’anglais,
d’autres un peu moins mais quel que soit
le niveau de compréhension de chacun,
l’entente est parfaite et nous passons
des instants délicieux que nous ne sommes
pas prêts d’oublier. La cueillette
continue jusqu’à 16 ou 17h avec
encore un arrêt thé à la
sauge puis nous rentrons parfois à pied
ou assis sur les sacs d’olives dans une
remorque tirée par un tracteur. Encore
un moment de rire avec l’impression toutefois
que vu les obstacles de pierres et de monticules
de terres érigés par les colons
et même parfois par l’armée
pour entraver les récoltes que le tracteur
doit franchir, nous ne sommes pas certains d’arriver
entier au village! Des colons nous observaient
derrière les barbelés protégeant
la colonie, mais nous n’avons pas eu d’affrontements
avec eux ni avec l’armée d’ailleurs,
ce qui n’a pas été le cas
pour d’autres internationaux que nous
avons rencontrés lors d’une manifestation
et qui aidaient à la récolte d’olives
à Hébron. Ils ont été
violemment chassés des champs d’oliviers
par les colons sous le regard bienveillant de
l’armée.
Nous avons
également eu la chance de pouvoir assister
le dimanche 4 novembre à la fête
de la jeunesse de Deir Istiya organisée
dans l’édifice ottoman en cours
de restauration. Ce fut une célébration
émouvante. Les danses palestiniennes
sont très belles et les jeunes garçons
et filles du village en costume de leur région
et aux couleurs palestiniennes les réalisèrent
à la perfection. Il en fut de même
pour les autres divertissements comportant de
courtes pièces de théâtre
humoristique, chants, etc. La volonté
et l’endurance de ce peuple qui, malgré
des conditions de vie insupportables, ne baisse
pas les bras et continue à lutter pour
sa terre en agissant comme si l’occupation
n’existait pas est tout simplement admirable;
il n’y a pas d’autres mots.
Une anecdote particulièrement significative
mais amusante aussi illustre bien le caractère
des palestiniens. Julie (une des participantes
à la mission) et Caroline étaient
en train de trier les olives pour enlever l’excès
de feuilles et de petits branchages. Ahmed,
une des deux personnes que nous aidions à
la cueillette, s’était installé
auprès d’elles pour les aider.
Au bout d’un moment il se penche vers
elles et leur dit en chuchotant en anglais «j’ai
un secret que je vais vous révéler,
mais il ne faudra le dire à personne.
Vous n’avez pas peur?» Curieuses,
elles tendent l’oreille, «Je suis
membre du Hamas.» Ah bon et alors, c’est
bien, c’est votre choix» lui répondit
Caroline. Un instant plus tard Caroline lui
dit tout bas «j’ai un secret que
je vais vous révéler. Vous n’avez
pas peur?». A son tour Ahmed veut connaître
le secret, «Nathan et moi, nous sommes
juifs». Ahmed est frappé de stupeur.
A tel point que Caroline se demande si elle
n’aurait pas mieux fait de se taire. Le
silence s’installe et le tri continue.
Puis Ahmed lève la tête avec un
large sourire. L’entente était
intacte et l’amitié scellée.
Il n’est malheureusement pas possible
de rester sur un tableau aussi idyllique. Lors
d’une cueillette, il nous a été
demandé d’accompagner deux personnes
de la famille que nous aidions dans une oliveraie
d’une autre famille du village dont le
mari était mort dernièrement.
La mère était seule avec plusieurs
enfants en bas âge et ne pouvait donc
pas aller récolter ses olives. L’oliveraie
se trouvait entre une colonie établie
derrière le Mur et une colonie sauvage
de notre côté du Mur et nous devions
traverser une route, qu’empruntaient les
colons ainsi que des militaires, qui se trouvait
entre les deux colonies. Nos deux amis avaient
visiblement peur et nous sommes partis sans
aucun matériel à l’exception
de deux sacs. Nous avons marché encore
pendant près d’une heure pour atteindre
les oliviers et nous avons fait la récolte
rapidement en parlant peu et bas. Il était
13h, nous étions en plein soleil et il
faisait très chaud. En
passant, nous avons remarqué au loin
un terrain de football verdoyant qui était
en train d’être abondamment arrosé.
Les palestiniens disposent de très peu
d’eau puisque Israël a détourné
la plupart de leurs cours d’eau pour satisfaire
les besoins des colonies. Nous avons eu la gorge
serrée devant ce spectacle indigne. Au
retour nous avons aperçu des colons qui
marchaient sur la route et nous avons donc attendu
derrière un bosquet avant de repartir.
Nous avons posé la question de l’eau
aux villageois et nous avons été
sidérés par leur réponse.
Dans son sous-sol, le village possède
plusieurs sources, mais ces sources ont été
captées par les Israéliens qui
revendent l’eau à la municipalité
de Deir Istiya à un prix élevé!
Nous devions passer deux jours dans une famille
vivant à Azzun, près de Qalquilya
dont l’oliveraie est entourée presque
dans sa totalité par la colonie de Alfe
Menashe. Le soir du premier jour et, suite à
l’attaque d’une voiture de colons
à une dizaine de kilomètres du
village, des soldats sont entrés dans
la maison du frère de notre hôte,
qui n’avait rien à voir avec cette
attaque, ont défoncé les deux
portes de la maison dans laquelle il y avait
son épouse et ses quatre enfants et lancé
trois grenades lacrymogènes. Ils ont
ensuite tiré sur les réservoirs
d’eau sur le toit ce qui fait que la famille
aura été privée d’eau
pendant plusieurs jours. Après le dîner,
nous avons été conviés
à boire le café dans la maison
qui avait été abondamment aérée
entre temps. Et pourtant, même quatre
heures après les faits nous ne pouvions
rester dans la pièce principale tellement
les yeux et la gorge nous piquaient. Les enfants
dont deux toussaient encore beaucoup avaient
été envoyés chez des voisins.
Ceci est un exemple de punitions collectives
pratiquées par l’armée israélienne
qui sont interdites par l’Article 33 de
la 4e Convention de Genève.
Nous avons du partir rapidement le lendemain
car l’armée avait déclaré
un couvre feu et fermé le village et
nous risquions de ne plus pouvoir sortir d’Azzun
pendant plusieurs jours. Nous n’avons
donc pas pu continuer à aider cette famille
pour un deuxième jour comme prévu.
Après les 6 jours de cueillette dans
la région de Salfit, nous avons tenu
à revoir Naplouse, ville que nous avions
visitée en juin 2006 et que nous aimons
beaucoup. Naplouse est une ville où la
résistance à l’occupant
est très forte. Elle subit en conséquence
une très grande pression de l’armée
avec des incursions nocturnes quotidiennes pendant
lesquelles elle tire sur tout ce qui bouge et
détruit des vestiges anciens. Le maire
de Naplouse, que nous avions rencontré
lors de notre précédente mission
en juin 2006 et qui est un homme d’une
grande probité, a été arrêté
par les autorités israéliennes.
Bien qu’il ne soit pas membre du Hamas
en tant que tel, il s’était inscrit
sur leur liste pour les élections, ayant
confiance en leur intégrité. Il
a été arrêté, dans
l’illégalité la plus complète,
comme beaucoup d’autres membres du nouveau
gouvernement palestinien démocratiquement
élu en janvier 2006 et est détenu
dans une prison israélienne sans pouvoir
recevoir la visite d’aucun membre de sa
famille. Il est en détention dite «administrative»,
ce qui signifie pour une durée indéterminée,
sans procès, et au bon vouloir des autorités
israéliennes.
Le
camp de réfugiés N°1, Ein
Beit El-Mal’, qui est le premier camp
établi à Naplouse après
la création de l’Etat d’Israël
en 1948, est un des quatre camps implantés
à l’extérieur de la ville.
A l’origine il y avait 1700 réfugiés;
il y en a maintenant 8000 et les habitants n’ont
cependant pas le droit d’étendre
le camp. Donc, ils construisent en hauteur avec
des petites allées d’à peine
un mètre de large pour circuler et gagner
ainsi le maximum de place. Nous avons pu voir
beaucoup d’appartements dynamités
avec des trous béants dans les cuisines
ou dans les chambres, des bâtiments tenant
à peine debout n’ayant plus de
vitres aux fenêtres, des réservoirs
d’eau détruits, etc. Les habitants
n’ont pas d’autre choix que de rester
dans leur logement à moitié détruit,
n’ayant pas les moyens d’effectuer
les réparations nécessaires. L’armée
fait des incursions régulières
dans ce camp (ainsi d’ailleurs que dans
les trois autres) sous le prétexte d’arrêter
des résistants. Nous avons été
informés par des habitants que, quelques
mois auparavant, l’armée avait
fait sauter toutes les canalisations d’eau
et le camp en avait été privé
pendant 5 jours. Sans la solidarité des
habitants de la ville de Naplouse la situation
aurait été effroyable. Des arrestations
arbitraires, dont des enfants, se font sur une
base quasi quotidienne. Etant donné qu’il
y a 80% de chômage dans les camps, la
misère est partout et pourtant leur espoir
d’avoir un jour leur Etat et une paix
juste demeure intact.
Avec le PARC nous avons visité Zababdé
et les villages environnants qui sont très
touchés économiquement par le
mur qui traverse leurs terres et les colonies
installées sur les collines environnantes.
Deux petites colonies avaient été
démantelées lors des accords concernant
le démantèlement des colonies
situées dans la Bande de Gaza en 2005.
Les habitants, heureux de récupérer
leur terre, ont donc commencé à
la cultiver. L’armée s’est
empressée de les en empêcher avec
l’argument que ces terres ne leur appartenaient
plus et qu’ils n’avaient donc pas
le droit de les cultiver sous peine d’emprisonnement.
Nous avons vu ces terres …elles sont maintenant
en friche!
Avant
notre départ, nous avons décidé
d’apporter notre soutien à un petit
village au sud de Bethlehem, Om Salamoneh, qui
manifestait contre le mur et les colonies, très
présentes autour du village. Nous étions
à peine 40 manifestants (peu de palestiniens
du village car une bonne partie d’entre
eux sont en prison), parfaitement pacifiques
: les membres de la mission, une dizaine d’autres
internationaux venant de Belgique et de France
et un groupe de religieux américains.
Trente soldats en tenue de combat et six véhicules
blindés nous surveillaient. Même
s’il n’y a pas eu de blessés
nous avons été poussés,
bousculés, insultés.
De retour à Jérusalem Est, et
par rapport à notre mission en 2006,
nous avons noté l’augmentation
des colonies dans la vieille ville et l’emprise
grandissante des autorités israéliennes
afin d’en exclure la population arabe.
Nous étions en Israël et en Palestine
pendant la préparation de la conférence
d’Annapolis mais dans la région
tout a continué comme si aucune conférence
internationale, pour tenter de cesser cette
occupation inhumaine et pour qu’enfin
les palestiniens aient un état digne
de ce nom, n’allait avoir lieu. La construction
du Mur, du tramway et des colonies, dont le
nombre a considérablement augmenté
depuis juin 2006, s’est poursuivie. Les
arrestations arbitraires, les exactions de l’armée,
les interdictions et les contrôles ont
continué et les conditions de vie du
peuple palestinien ne font qu’empirer.
Nous n’avons observé aucun signe
d’apaisement ou de bonne volonté
de la part de l’Etat israélien.
Comment croire alors à l’aboutissement
des pourparlers d’Annapolis ?
Nous aimerions conclure notre témoignage
par une citation du Dr. Ali Qleibo, écrivain
palestinien, «la confiscation des terres
se perpétue, le nombre et la taille des
colonies ne cessent d’augmenter mais contre
toute attente, le peuple palestinien survit
en état de grâce sur la terre de
ses ancêtres.»
Caroline et Nathan
03/12/07
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