La mort de Bassem Abu Rahma, tué
par l’armée israélienne
le vendredi précédent la conférence,
lors de la manifestation pacifique hebdomadaire
du village, a plané sur toute la conférence.
Ce jeune homme de 30 ans était en quelque
sorte l’âme de la jeunesse du village
et participait chaque vendredi à la manifestation
en insistant auprès de ses camarades
sur son caractère non-violent. Ce grand
gaillard que le village appelait familièrement
«El Phil» (l’éléphant)
était très écouté
et cailloux et lance-pierres restaient souvent
dans les poches. L’émotion était
vive et nous, ainsi que tous les participants,
l’avons profondément ressentie.
L’ouverture de la conférence,
mercredi 22 avril, s’est faite en rendant
hommage à Bassem. Eyad Burnat, Directeur
du Comité populaire de Bil’in,
Salam Fayad, Premier ministre de Palestine,
Luisa Morgantini, Vice-présidente du
Parlement européen, et Mairead Maguire,
Prix Nobel de la Paix, se sont ensuite exprimés
sur la nécessité de poursuivre
la résistance populaire comme stratégie
pour contrer l’oppression et défendre
les droits élémentaires à
la vie et la liberté du peuple palestinien.
Le premier ministre Salam Fayad a insisté
sur le fait que l’Autorité palestinienne
(AP) a toujours soutenu, et soutiendra toujours,
les comités populaires. Jimmy Carter,
ancien Président des Etats Unis, avait
également envoyé une lettre de
soutien à la conférence. La journée
s’est poursuivie par différentes
interventions sur la situation critique de Jérusalem
Est due à l’expansion des colonies
ainsi que sur la manière de promouvoir
une culture de résistance. Les maires
des villages Ni’lin, Al-Mas’sarah
(Mahmoud Zwahre qui était parmi nous
en Suisse en janvier), de la vallée du
Jourdain, du sud d’Hébron et de
Bil’in ayant introduit des campagnes de
résistance populaire ont décrit
leurs méthodes pour des actions efficaces.
Dans la soirée un groupe de représentants
des principaux courants politiques se sont exprimés
sur l’avenir de la résistance populaire
non violente. Les dissensions entre eux étaient
normales mais tous se sont exprimés avec
calme et modération.
Mustapha Barghouti (Secrétaire général
de l’Initiative générale
palestinienne), n’a cependant pas hésité
à critiquer sévèrement
l’attitude de l’AP en se référant
notamment aux accords d’Oslo qu’il
estime avoir divisé les palestiniens.
Il a estimé également qu’en
tenant compte de l’état de l’occupation
actuelle qui ne fait qu’empirer et de
la progression de la construction des colonies,
l’AP devrait cesser les négociations
avec Israël et s’orienter beaucoup
plus vers l’union des partis politiques
et de la résistance populaire afin de
travailler ensemble en apportant un soutien
plus conséquent aux populations qui résistent.
Deuxième jour
i) Groupe de travail
Quatre groupes de travail se sont mis en place.
Nous avions choisi le groupe «Responsabilité
des Entreprises vis-à-vis des Violations
du Droit international – campagnes et
actions». Les débats étaient
menés par Shawan Jabarin, directeur général
d’Al-Haq (ONG palestinienne pour la défense
des droits de l’Homme), Michael Sfard,
avocat israélien, mandaté par
le conseil municipal du village de Bil’in,
et Dalit Baum de l’association israélienne
«Who profits?». L’industrie
de l’occupation a été très
clairement expliquée. Toutes les compagnies
privées qui, par exemple, participent
à la construction des colonies font directement
partie du système et violent ainsi le
droit international. Elles sont donc passibles
des mêmes peines pénales que l’occupant.
L’association France Palestine Solidarité
(AFPS) a d’ailleurs engagé une
action judiciaire devant le Tribunal de Grande
Instance de Nanterre contre les Sociétés
ALSTOM et VEOLIA TRANSPORT pour tenter d’obtenir
l’annulation du contrat qu’elles
ont passé avec Israël pour la construction
et l’exploitation du tramway reliant les
colonies illégalement installées
en Cisjordanie à Jérusalem, ce
qui est en totale contradiction avec le droit
international. Nous avons été
informés que la plainte de l’AFPS
a été retenue et que la procédure
se poursuit ce qui représente déjà
un premier succès de la solidarité.
Un autre exemple est la Compagnie Canadienne
Québécoise de Construction qui
est impliquée non seulement dans la construction
d’une colonie mais aussi dans la vente
des appartements. Cette compagnie viole le droit
international mais aussi le droit interne canadien
qui est aligné sur le droit international.
Ce n’est pas le cas de la France, par
exemple, qui n’a pas incorporé
le droit international au droit national, ce
qui représente une difficulté
supplémentaire en cas de plaintes pénales.
En outre, il est souvent difficile de remonter
les filières pour déterminer l’origine
des vrais responsables du fait de différentes
astuces juridiques : prête-nom, pays hôte,
etc. Le Gouvernement israélien est passé
maître dans ce genre de transaction; ce
qui faisait partie de l’Etat est maintenant
privatisé. Le travail des avocats engagés
par la société civile palestinienne
consiste aussi à chercher qui fait travailler
ces entreprises privées et quel est leur
degré de complicité. Il est essentiel
de s’assurer au préalable que toutes
les voies internes aient été épuisées
et que le droit domestique corresponde au droit
international.
Toutes les compagnies impliquées d’une
manière ou d’une autre dans une
action contrevenant le droit international peuvent
être amenées devant les tribunaux.
Les banques qui financent ou prêtent des
fonds pour des actions illégales, comme
DEXIA (société belge) à
qui le Gouvernement israélien a délégué
ses activités financières, en
sont un exemple parmi d’autres. Dexia
ayant été nationalisée,
l’Etat belge sera donc aussi tenu pour
responsable.
Le boycott, en tant qu’effort parallèle
et non concurrentiel, est intéressant
également dans ce domaine car l’avantage
de focaliser l’action sur une multinationale
est de pouvoir attaquer ses intérêts
financiers. Cependant, les compagnies ne peuvent
pas toutes être considérées
comme responsables ou même complices,
car il est essentiel de pouvoir prouver qu’il
y a un lien entre elles et des violations de
droits humains et ce lien est souvent très
difficile à identifier. En outre, toutes
ces procédures d’identification
et de plainte pénale sont très
couteuses et la société civile
palestinienne ne possède pas les fonds
pour entreprendre des actions contre un grand
nombre de compagnies. Il a été
recommandé à la solidarité
dans le cas où une entreprise est connue
pour telle ou telle action illégale de
diffuser largement son implication et de boycotter
ses produits s’il y a lieu
ii) Visite sur le
Terrain
Une sélection de cinq visites sur le
terrain a ensuite été organisée.
Notre préférence s’est portée
sur la partie nord de la Cisjordanie que nous
ne connaissions pas ; c'est-à-dire Tulkarem
et Kalkiliya. A Tulkarem, le Mur de béton
divisant la ville et passant au milieu d’une
maison est une vision absurde. Les habitants
de la maison coupée en son milieu ont
fait du Mur leur jardin. De ravissantes plantes
s’agrippent au béton et les platebandes
multicolores courent le long du Mur. Le contraste
est saisissant entre le «terroriste»
palestinien qui plante des fleurs le long du
Mur et la «démocratie» israélienne
qui construit un mur de béton divisant
le village en deux, séparant les familles
et détruisant son économie. En
route vers Kalkiliya nous nous sommes arrêtés
près du village de Irtah devant une usine
de produits chimiques (produits de ménages,
pesticides et fertilisants agricoles) qui était
à l’origine installée du
côté israélien à
Kfar Saba, puis qui a été transférée
en territoire palestinien en 1985 suite aux
récriminations des habitants de ce village
israélien. Le médecin du district,
Dr. Mohamad Aboushi, nous a expliqué
que la plupart du temps le vent soufflait vers
le côté palestinien et que les
émanations chimiques provoquaient au
sein de la population des villages environnants
des maladies respiratoires sérieuses
qui affectaient aussi beaucoup les enfants (bronchites
à répétition, asthme, pneumonies,
etc.). Quand pendant les quelques deux semaines
par année où le vent changeait
de direction et soufflait vers le côté
israélien, l’usine fermait ses
portes. A Kalkiliya, nous avons été
appréhendés par des militaires
israéliens alors que nous parlions avec
des travailleurs palestiniens. Un check-point
a été aménagé uniquement
pour eux. Ils le traversent à pied, après
que les cars des entreprises israéliennes
les aient déposés. Leurs conditions
de travail sont pour la plupart scandaleuses.
Pas de couvertures sociales, salaires bien plus
bas qu’en Israël et payés
à la journée, longues journées
dont les heures supplémentaires ne sont
souvent pas payées, etc. Etant donné
les fouilles et les vérifications d’identité
interminables au check-point, ils doivent se
rendre au passage entre 3 et 4 heures du matin
afin de ne pas être en retard pour les
bus qui les attendent de l’autre côté
à 7h et qui partent sans eux en cas de
retard, même léger. Donc pas de
salaire dans ce cas là.
Les cinq militaires israéliens, qui
n’appréciaient visiblement pas
la présence de notre groupe, nous ont
fort désagréablement demandé,
mitraillette au poing, de ne pas photographier
le Mur, et ont voulu confisquer nos appareils
sous le prétexte que nous étions
devant un site militaire ! Une altercation violente
a suivi, les militaires voulant arrêter
un membre du groupe qui refusait de leur remettre
son appareil. Après deux heures de tracasserie
nous avons pu repartir avec nos appareils, mais
seulement après avoir été
contraints d’effacer les photos incriminées.
Troisième jour
– Manifestation
Vendredi 24 avril, clôture de la conférence
de la résistance non-violente, était
aussi le jour de la manifestation hebdomadaire.
Après les présentations finales
des groupes de travail, nous avons été
briefés sur l’attitude à
adopter face aux attaques des militaires israéliens
lors de la manifestation. Dès la fin
de la prière du vendredi, nous nous sommes
regroupés devant la mosquée de
Bil’in. Nous étions approximativement
300 manifestants : palestiniens, un petit groupe
d’activistes israéliens et internationaux
confondus. Des T-shirts blancs avec l’effigie
de Bassem nous ont été distribués
et nous nous sommes alors dirigés vers
la barrière d’annexion, à
environ 800m de la mosquée. Le Mur à
Bil’in n’est pas une construction
en béton mais constitué d’un
grillage de 3 à 4m de haut avec des fils
barbelés à profusion. Cette manifestation
populaire hebdomadaire est clairement non-violente
et l’a toujours été. Par
contre les actions de répression de l’armée
israélienne sont, elles, clairement violentes.
Là encore, le contraste est saisissant.
D’un côté des villageois
et leurs supporters en T-shirt, sans armes,
chantant des slogans contre le Mur et les colonies,
réclamant la restitution de leur terre
et de l’autre côté une centaine
de militaires israéliens en tenue complète
de combat avec derrière eux des véhicules
blindés de toutes catégories.
Les jeunes camarades de Bassem avaient décidés
de placer une plaque commémorative à
l’endroit où il était tombé.
C’est alors que nous nous sommes rendus
compte qu’il avait été tué
à bout portant et que les déclarations
de l’armée israélienne quant
à un accident étaient fausses,
encore ! Bassem a été abattu près
de la barrière donc quasiment à
portée de main des militaires. Le courage
des jeunes de Bil’in est inouï. Malgré
les balles recouvertes de caoutchouc et les
gaz lacrymogènes de haute intensité
ils ont continué sans relâche à
creuser pour finalement réussir à
placer la plaque commémorative. Luisa
Morgantini était d’ailleurs avec
eux faisant preuve, elle aussi, d’un courage
exceptionnel. Les soldats tiraient sur les manifestants
avec les grenades lacrymogènes (mais
dont la taille est celle d’un poing fermé,
comme celle qui a tué Bassem). Nous avons
vu devant nous un manifestant parisien qui a
été clairement visé par
un soldat. Il a pu éviter de justesse
le projectile mais il a quand même été
blessé à la joue. Nous avons nous-mêmes
dû nous protéger à plusieurs
reprises derrière une des deux ambulances
mais n’avons pas échappé
au gaz lacrymogène qui étouffe
et pique les yeux, empêchant pendant quelques
instants de respirer et de voir. La sensation
est quelque peu paniquante car nous perdons
momentanément tous nos repères.
Vingt cinq blessés, des blessures de
légères à un peu plus sévères,
ont été recensés. Les soldats
tiraient de tous les côtés. Nous
avons compris la rage qui tout à coup
a pris les jeunes du village. En un éclair,
comme si un signal avait été donné,
lance-pierres et frondes sont sortis des poches
et cailloux et pierres se sont mis à
voler vers l’autre côté de
la barrière ne tenant aucun compte des
appels au calme des Bil’inois plus âgés.
Rétrospectivement, malgré la
situation tragique, nous ne pouvons pas nous
empêcher de sourire au souvenir de la
vue de ces militaires armés jusqu’aux
dents se grouper et se protéger des cailloux
par de grands boucliers nous faisant penser
aux bandes dessinées d’Astérix
le gaulois et les romains avec leur fameuse
formation en «tortue». Pendant tout
ce temps l’armée activait un sifflet
strident et criait par haut parleur en arabe
«vous êtes dans une zone militaire
; vous n’êtes pas autorisés
à vous approcher du Mur» et répétant
sans cesse en anglais cette phrase incongrue
et incompréhensible dans la situation
dans laquelle nous étions: «Vous
approchez d’une zone d’exclusion
de navires. Faites immédiatement demitour».
Et pourtant chaque vendredi les habitants de
Bil’in reviennent pacifiquement sur ces
lieux avec la même détermination
et les mêmes revendications, convaincus
de leurs droits et qu’ils finiront bien
par reprendre ce qui leur appartient .
Résumé
des Conclusions et Recommandations de la Quatrième
Conférence internationale sur la Résistance
Non Violente.
- L’union nationale a été
un des messages les plus forts. Union entre
les comités populaires et union entre
les partis politiques.
- Les mouvements de boycott (BDS: Boycott-Désinvestissement-Sanctions)
ont été fortement encouragés.
La nécessité de faire pression
sur la communauté internationale pour
boycotter les produits israéliens a
été évoquée tout
au long des trois jours de débat.
- Combattre le rehaussement des accords de
coopération Europe-Israël et demander
leur suspension tant qu’Israël
viole les lois internationales.
- Continuer et intensifier la résistance
non violente en s’appuyant sur le droit
international et en démontrant toutes
les violations de ce droit par l’Etat
d’Israël. Un soutien à la
propagation de la résistance non violente
à toutes les régions de Cisjordanie
a été vivement encouragé.
- Une meilleure coordination entre les comités
populaires et un soutien plus tangible de
la part de l’Autorité palestinienne
à la résistance ont été
ardemment souhaités.
- Coordonner les campagnes palestiniennes
et internationales pour poursuivre les criminels
de guerre israéliens.
- Intensifier le mouvement international
de solidarité avec la Palestine.
- Renforcer les relations avec les groupes
pacifistes israéliens qui rejoignent
la résistance populaire palestinienne
contre l’occupation.
- La prochaine conférence se tiendra
en avril 2010
Le souvenir de Bassem est encore très
présent et le sera encore pendant longtemps.
Ce jeune homme représentait la jeunesse
palestinienne qui voulait que sa Palestine vive
libre et dans la paix en utilisant pour y parvenir
des moyens non violents. Avec des jeunes gens
comme Bassem, Israël et la Palestine pouvait
envisager un avenir de paix soit en commun soit
côte à côte. Israël
a tué cet espoir pour beaucoup des camarades
de Bassem mais elle a en même temps tué
un peu de son propre avenir. Adieu Bassem.
Caroline et Nathan Finkelstein
- CUP
Nyon - La Côte 23/05/09
>
Adieu Bassem - au format pdf
voir le film: >>
Bilin Conference 2009 - film de
Nathan Finkelstein 20/06/09