Ilan Halevi, membre
du Fatah, auteur et chroniqueur régulier
de la Revue d’Etudes Palestiniennes était
à Genève sur invitation du Collectif
Urgence Palestine pour participer au meeting
et à un atelier organisés les
16 et 17 mai dans le cadre de la campagne à
l’occasion des 60
ans de l’indépendance d’Israël
et de la Nakba palestinienne.
Quel est ton bilan des commémorations
des soixante ans de l’indépendance
d’Israël et de la Nakba?
Dans le déferlement de déclarations
d’amour à l’Etat d’Israël
qui émanent des médias européens
et d’une grande partie des gouvernements,
en Europe et même de par le monde, on
peut trouver une consolation dans le fait que
le concept, le vocable de Nakba, en arabe dans
le texte… , est entré dans l’usage
médiatique et public universel. C’est
la deuxième fois que les Palestiniens
ont fait entrer un terme dans le langage universel:
il y a une génération, c’était
le terme Intifada. C’est la deuxième
fois que leur souffrance et leur résistance
imposent leur nom propre.
Il y a quelques précédents: la
Perestroïka gorbatchévienne, par
exemple avait imposé son nom. Glasnost
et Perestroïka n’étaient plus
traduits, c’étaient des concepts
en russe dans le texte. Il en est apparemment
de même à partir de cette année
avec le mot Nakba. Le secrétaire général
des Nations Unies l’a mentionné,
suscitant les protestations des Israéliens.
Et un peu partout on ne peut plus mentionner
l’indépendance d’Israël
sans faire une référence, fût-elle
formelle et hypocrite, à la souffrance
corollaire dont les palestiniens ont été
les victimes comme résultat de l’établissement
de l’Etat d’Israël en 1948.
Je dirais donc que c’est un bilan mitigé.
Tout d’abord parce que la Nakba continue,
la dépossession continue et on n’en
voit pas la fin. Donc de toute façon
il n’y a aucune raison de célébrer
ou de se réjouir et les raisons d’espérer
sur le court terme sont minces.
Deuxièmement, on peut aussi s’inquiéter
de l’écart qui se creuse entre
le ras-le-bol des opinions publiques par rapport
à la brutalité et à l’arrogance
des pratiques israéliennes et à
la servilité accrue des politiques et
des médiatiques à l’égard
des dirigeants israéliens, dont les exigences
n’ont pas cessé de s’accroître.
Je pense que le conflit, qui n’a jamais
été un champ clos israélo-palestinien,
nécessite plus que jamais une médiation
internationale qui réintroduise les paramètres
du droit, et même du droit international
dans ses versions les plus minimalistes, dans
une équation qui est aujourd’hui
totalement déséquilibrée.
Comment retrouver l’unité
dans la lutte de libération du peuple
palestinien?
L’unité politique palestinienne
se trouve aujourd’hui dans une crise sans
précédents. Il n’y a jamais
eu une situation comme l’actuelle, où
il y a deux systèmes de légitimité
politique concurrents sur le territoire palestinien
lui-même. Alors que dans les années
de l’exil même la dislocation géographique
du peuple palestinien n’avait pas entamé
son unité politique. L’OLP était
le cadre dans lequel on fonctionnait, que l’on
soit avec le Front populaire ou le Front démocratique,
partisan du Fatah ou communiste ou islamique.
Il n’y avait qu’un seul cadre institutionnel,
quelle que soit la location géographique.
Aujourd’hui sur le territoire palestinien
lui-même on a une situation de double
pouvoir qui d’ailleurs est une double
absence de pouvoir puisque c’est l’occupant
israélien qui détient les véritables
leviers du pouvoir réel, le pouvoir effectif
sur le territoire, sur la liberté de
mouvement, sur la vie, sur l’économie.
Alors que le pays est assiégé
et qu’il vit une situation épouvantable
du point de vue de la sécurité
des citoyens qui sont menacés par une
politique d’assassinats dits ciblés
mais qui est absolument dévastatrice
par rapport aux civils et qu’il subit
en même temps une asphyxie économique
sans précédent, la question de
l’unité politique est une question
grave mais elle ne pourra être résolue
que de façon démocratique: il
faut absolument écarter l’idée
ou l’hypothèse selon laquelle une
des parties pourrait imposer son hégémonie
à l’autre par la force. La société
palestinienne ne l’acceptera pas.
Comment vois-tu les perspectives
pour les Palestiniens?
Les perspectives sur le plus long terme demeurent
inchangées. Le peuple palestinien ne
peut pas se permettre de baisser les bras, il
faut qu’il continue à survivre.
Même si la victoire où une libération
même partielle n’est pas à
l’ordre du jour immédiat en raison
du rapport de force, qui de toute évidence
ne lui est pas favorable, il y a toujours quelque
chose à faire On peut toujours mettre
son poids dans la balance pour que les choses
soient un peu moins pires, au moins pour alléger
un peu la souffrance des gens, et se préparer
à l’étape suivante. Là
les responsabilités de la communauté
internationale sont écrasantes. Donc,
il faut continuer à en appeler aux Européens,
à la fois sur la base de leurs valeurs
proclamées mais aussi sur la base de
leurs intérêts bien compris. Parce
que même si les Etats-Unis peuvent envisager
de gérer le désordre et l’instabilité
au Moyen Orient par télécommande,
à distance, les Européens, eux,
sont bien placés pour savoir que leurs
destins et ceux des autres riverains de la Méditerranée
sont étroitement imbriqués et
qu’il n’y aura pas de prospérité
et de stabilité sur la rive Nord de la
Méditerranée s’il y a la
guerre et la misère de l’autre
côté. Donc il faut que les Européens
traduisent leurs discours souvent justes en
une véritable action politique concertée.
Quel est le thème de ton
prochain livre?
Le thème traité est l’islamophobie,
qui est le discours sous jacent de la nouvelle
guerre globale, présentée comme
une guerre contre le terrorisme. Je pense qu’il
y a là une perversion intellectuelle,
théorique et politique grave de conséquences.
Je travaille sur cette thématique qui
dans une certaine mesure éclaire le pessimisme
dont j’ai fait preuve sur les perspectives
à court terme dans la question palestinienne.
Ce contexte global, absolument désastreux,
justifie toutes les complaisances à l’égard
de la politique israélienne puisque l’adversaire
désigné, l’ennemi global
de substitution, est désormais l’identité
civilisationnelle elle-même des peuples
de notre région.