Mesdames, Messieurs les journalistes libres
et indépendants
Depuis le 27 décembre dernier, la population
palestinienne de la Bande de Gaza a vécu
sous un déluge de bombes, prise au piège
d’un enfermement territorial mis en place
par l’Etat d’Israël. Les rares
refuges qui en temps de guerre s’offrent
à la population ont été
les cibles de bombardements. Aucun abri n’a
été épargné: les
mosquées, les écoles, les dispensaires,
les hôpitaux, les infrastructures internationales,
sont devenus des lieux d’ensevelissement
où ont péri des vieillards, des
femmes et des enfants.
L’ensemble des preuves produites par les
acteurs neutres des organisations internationales
humanitaires restées sur place, les comptes-rendus,
les bilans fournis heure par heure par les organisations
non gouvernementales reconnues par les Nations
Unies, ainsi que par la société
civile israélienne et palestinienne,
attestent du caractère hautement criminel
de l’offensive de l’armée
israélienne depuis cette date et constituent
des crimes de guerre, selon les critères
émis par la communauté internationale,
au lendemain des procès de Nuremberg.
(Voir Haaretz pendant la durée du conflit)
Cette offensive s’est déroulée
après deux ans de blocage total de la
Bande de Gaza, faisant vivre à la population
toute entière un véritable calvaire,
sans entraîner de la part de la communauté
internationale les sanctions qui s’imposaient
à l’égard d’une punition
collective, interdite par la 4ème convention
de Genève. (Voir lettre
adressée à Madame Calmy-Rey,
site du Collectif Urgence Palestine, CUP).
Comment avons-nous été informé
ici en Suisse? Lorsqu’une mise en perspective
objective des événements devrait
être présentée, en expliquant
les causes et les aboutissants, les médias
suisses se limitent à relater des faits
de façon souvent partisane, la vision
de l’occupant! Cette situation se traduit
notamment par des mots d’offuscation à
l’égard du peuple palestinien parce
qu’il ose lancer des roquettes pour dire
qu’il existe, oubliant de mentionner qu’il
vit sous blocus et séquestre. Mais le
pourquoi du lancement des roquettes n’est
jamais développé, seuls sont montrés
les dégâts qu’elles provoquent.
Un multitude d’éléments
sont tus, tels le blocus perpétuel, les
assassinats politiques ciblés qui ne
font pas la différence entre les dirigeants
de la résistance palestinienne sans jugement
aucun et sans distinction entre islamiste du
Hamas et laïc du front de la libération
de la Palestine, les centaines d’enfants
emprisonnés parce qu’ils osent
lancer des pierres, les chars israéliens
qui détruisent chaque nuit depuis plus
de 4 ans maisons et boutiques de la vielle ville
de Naplouse, on ne montre pas comment chaque
matin les Palestiniens reconstruisent, en signe
de résistance, les dégâts
occasionnés.
On oublie également de mentionner les
12000 Palestiniens emprisonnés, contre
un seul Israélien, de même on ne
parle que trop peu de la politique de répression
menée par Israël, des humiliations
quotidiennes que subissent les Palestiniens
ou encore des colonies qui continuent de s’implanter
sur le territoire palestinien.
Les médias omettent aussi de présenter
le combat de ces Israéliens qui s’opposent
à la politique de leur gouvernement ou
ne les citent que comme des acteurs isolés.
Chaque jour des Juifs prennent position contre
la politique d’Israël et sont traités
de dissidents, exclus de leur communauté.
Enfin, on ne rappellera jamais assez la responsabilité
historique (depuis les chambres à gaz)
de l’Occident dans ce conflit!
Par ailleurs, les témoignages de personnes
qui se sont rendues sur place ne sont qu’exceptionnellement
relatés. Lors d’interviews, le
temps de parole accordé aux invités,
quand il y en a, représentant les Palestiniens
ou dont les opinions sont pro-palestiniennes
est toujours inférieur à celui
laissé au côté israélien.
Pour mémoire, lors de la dernière
guerre mondiale, des résistants ont aussi
mené des offensives contre le gouvernement
de Vichy collaborationniste. Tous ces résistants
n’ont pas pour autant été
appelés terroristes.
Il faut dénoncer cet état de
fait! Nous condamnons donc la prise de position
partiale des médias suisses (tout particulièrement
télévisés et radiophoniques)
par rapport au conflit de Gaza.
Au vu de cette situation, les questions suivantes
s’imposent :
Pourquoi les médias suisses n’informent-t-ils
pas les citoyens de ce qui se passe véritablement
sur le terrain en Palestine?
Pourquoi ne nous présente-t-on que
des positions distantes et non objectives?
Nous comprenons le poids de la mémoire
et de l’histoire par rapport à
la question juive et israélienne, mais
on oublie qu’on est passé d’un
antisémitisme juif à un antisémitisme
arabe et à une islamophobie primaire.
Les témoignages existent et sont multiples,
mais il est impossible de se faire une idée
réelle du conflit israélo-palestinien
à travers ce que relatent les médias
suisses. Dès lors, comment amener l’opinion
publique à se poser les vraies questions
si nous n’avons qu’une vision étriquée
et dirigée de l’information? Doit-on
toujours se procurer des médias étrangers
pour être informé dans notre pays?
Il conviendrait de se référer
aux journalistes israéliens et aux ONG
indépendantes présentes sur le
terrain.
Le Temps est l’un des rares journaux
à relater le témoignage de Chapatte
sous forme de BD, suite à son séjour
à Gaza fin janvier (Le
Temps, 3 février 2009) et à
publier divers articles d’opinions.
«Et si Israël voulait détruire
le Hamas pourquoi avoir détruit 30% des
champs d'oliviers et de l'agriculture palestinienne?»
Les propos des quatre parlementaires suisses
en déplacement à Gaza, dont Antonio
Hodgers, sont éloquents. Ce «spectacle
hallucinant nous amène à remettre
en cause la version officielle. Il n'y a pas
de proportion entre l'objectif déclaré
qui est de casser militairement le Hamas et
ce que l'on constate sur le terrain».
Sur Euronews, deux journalistes israéliens
sont très inquiets de la situation. «C’est
la première fois dans l’Histoire
qu’un peuple enfermé subit des
attaques d’une telle brutalité.
Il fallait vraisemblablement convaincre les
Israéliens que nous faisions quelque
chose, il fallait restaurer la puissance de
guerre d’Israël après la guerre
au Liban» dit Gideon Levy journaliste
à Haaretz. «La montée de
la haine chez les jeunes des deux côtés,
juifs et palestiniens, est particulièrement
inquiétante» s’exclame Yossi
Klein Halevi, journaliste et auteur. (Voir l’interview
sur Euronews)
La question palestinienne est à la fois
complexe et simple, un occupant et un occupé,
une armée d’occupation face à
une résistance, des colons et des indigènes,
des résolutions des Nations Unies et
des conventions de Genève non respectées
et violées depuis 1947.
Un problème récurrent surgit
dès que l’on prend position pour
les Palestiniens en dénonçant
leur sort: on est qualifié d’antisémites.
Non, nous ne sommes pas antisémites,
mais antisionistes, c’est autre chose!
Nous ne demandons que le respect des conventions
de Genève, le respect des résolutions
de l’ONU signées par Israël
et non appliquées depuis 1947 (voir le
Monde diplomatique, février 2009)!
Il convient encore de préciser qu’en
soutenant les Palestiniens, on ne soutient pas
obligatoirement le Hamas. Celui-ci a gagné
les élections, en se faisant le porte-parole
des plus démunis, toutefois en s’opposant
au gouvernement de Mahmoud Abbas il s’est
notamment coupé du soutien de l’Egypte
et de l’Arabie saoudite. Le blocus israélo-égyptien
se fait avec la bénédiction des
pays arabes. Et la survie des Palestiniens dépend
d’un consensus arabe (voir article de
Jean-Bernard Livio, Choisir, février
2009). Réduire le Hamas à un mouvement
islamiste aveugle constitue une lecture très
restreinte à la façon de Georges
Bush qui divise le monde entre l’axe du
mal et l’axe du bien. Le dialogue doit
s’instaurer avec des politiques ouverts
au dialogue, tant du côté palestinien
qu’israélien. Le Hamas dans ses
positions fondamentalistes et son objectif de
redonner à la Palestine son visage du
début du 20e siècle et vider les
Israéliens d’Israël, de même
que les mouvements de la droite israélienne
dont l’objectif est de vider Israël
et la Palestine des Palestiniens, ne peuvent
constituer, aussi longtemps qu’ils resteront
sur leurs positions, des acteurs d’un
dialogue constructif pour la constitution de
deux Etats sur ces territoires. Tant que chacun
des côtés n’arrivera pas
à se dire que cette construction va obligatoirement
aboutir à des pertes de part et d’autre
par les concessions à faire, la paix
n’a aucune chance d’aboutir.
On est pris par le piège de nos extrémistes
et dans ce cas, le droit à une information
libre et indépendante est indispensable.
Nous sommes face à un complot entre le
sionisme, l’impérialisme, les dictatures
arabes et le wahhabisme saoudien, le silence
de l’Occident face à une mémoire
assez lourde, une droite israélienne
obsédée par sa sécurité
produisant une politique du peuple élu,
un juif supérieur qui a tous les droits
et peut tout se permettre, et un laisser faire
par la communauté internationale qui
ne peut pas dire aujourd’hui qu’elle
n’était pas au courant.
A vous, amis et amies journalistes libres et
indépendants de savoir si vous allez
être dans la partie claire ou obscure.
Nous aimerions bien que vous preniez note que
nous sommes de plus en plus de citoyens à
avoir pris conscience que le droit à
la mémoire est un droit universel et
nous veillons à ce que tous les dérapages
sur l’antisémitisme juif ou arabe
ne puissent pas se produire, car l’islamophobie
actuelle ressemble à de multiples égards
à la judéophobie des années
30. Parce que nous sommes des citoyens de Suisse
interpellés par la façon d’être
informé dans notre pays et soucieux d’obtenir
une objectivité de l’information
notamment par rapport au conflit israélo-palestinien
qui a mis Gaza à feu et à sang
et parce que nous payons une taxe pour être
informés et avoir différents sons
de cloches, nous vous proposons de vous rencontrer
afin de travailler sur des dossiers que vous
pourriez présenter dans diverses émissions.
Dans l’espoir que vous serez interpellés
par ce qui précède, nous vous
prions de recevoir, Mesdames, Messieurs, nos
salutations les meilleures.
A.L.
Note du CUP: Le contenu de
cette lettre n'engage que son auteur et ne reflète
pas forcément les positions du Collectif
Urgence Palestine.