Salam min geneve
Après notre semaine à Gaza dont
vous avez eu des nouvelles il y a exactement une
semaine, voici la Cijordanie
Vous avez aimé Gaza? Vous aimerez la Cijordanie
diraient certains...
Départ le lundi 16 au matin pour Ramallah
où nous devions rejoindre notre partenaire
palestinien de la région de Salfit qui
venait nous chercher... manque de bol, 3 colons
qui faisaient du stop près de la colonie
de Gush Etzion dans la région de Bethléem
se sont fait descendre dimanche (je vous épargne
les "private jokes" de la mission sur
cet événement). Du coup Cijordanie
sous couvre-feu dimanche et lundi plein de checkpoints
volants apparaissent tel le virus de la grippe
aviaire. Et le copain de la région de Salfit
est bloqué dans son village, Deir Isstia
et ne peut nous rejoindre à Ramallah. Qu'à
celà ne tienne, le PARC pense que nous
aurons la possibilité de passer et de le
rejoindre là-bas. Yallah, on prend un sherout
à Ramallah et quelques checkpoint plus
loin ainsi qu'une visite "guidée"
du driver du sherout qui nous commente chaque
colonie que nous croisons (du type "this
settlement, very bad people" "this one,
all american" etc.) nous arrivons à
Deir Isstia où nous retrouvons notre ami
qui nous avait déjà accueilli l'an
passé.
Discussion, visite du village classé patrimoine
mondial UNESCO, nous apprenons que nous allons
récolter les olives dans le gouvernorat
de Salfit, dans le village de Al Zawiya village
bouffé par le mur. (Soit dit en passant,
le village de Deir Isstia qui possede 3500 ha
se verra confisquer 2800 ha de terre par le mur
et est gangrené par 7 colonies sur son
territoire. Dans la région, 60'000 palestiniens,
50'000 colons... défi démographique....).
L'un d'entre nous fait remarquer que c'est un
"cancer du colon" plein de métastases.
Comme les paysans de Al Zawiya près de
Mas'ha doivent aller mardi négocier leur
permis pour aller récolter leurs olives
dans LEURS champs, la récolte du mardi
sera "normale", une sorte de test en
situation habituelle. 3 groupes, deux à
Al Zawiya et un reste à Deir Isstia. Mercredi,
tous ensemble, nous accompagnions un paysan de
Al Zawiya qui a son terrain derrière le
chantier du mur, il faut le traverser, traverser
la route menant à la colonie d'Elkana et
commencer la récolte. Et que se passe-t-il?
Rien de spécial à part le monstre
détour pour atteindre le champ, voilà
la pluie qui s'y met. Un vériable déluge.
Exclu pour nous de quitter le champ. On fabrique
une tente de fortune avec les bâches servant
à la récolte et attendons, trempés,
que le déluge se déplace vers la
colonie. Mais les salauds nous renvoient le déluge
une heure après. On tient le coup avec
le paysan et poursuivons la récolte aussi
longtemps que possible. Les paysans que nous rencontrons
ces jours ne savent pas si ce sera leur dernière
récolte car le mur se finalise et l'an
prochain, qui sait qui pourra accéder à
son champ. Sentiment étrange, vraiment
surréaliste. Alors plus on récolte,
mieux c'est.
Le jeudi, nous accompagnons un paysan qui a trouvé
rien de plus malin que d'avoir son champ collé
à la colonie d'Elkana (je blague bien sûr).
Départ à 6h30, il a négocié
son permis le mardi et espère pouvoir donc
accéder à son champ pour son éventuelle
dernière récolte... regard inquiet,
tension, il monte la colline où se trouve
un réservoir et où se situe la porte
permettant d'accéder au champ. Le garde
de la colonie l'envoie ballader en lui disant
que la porte est fermée. Permis à
l'appui, il essaie de négocier. Rien à
faire, le garde lui dit de faire tout le tour
de la colonie, ce qui annonce une marche d'une
heure au lieu de 20 minutes. On fait un premier
quart de tour de la colonie, et un paysan qui
s'occupe à tailler ses olivers propose
à "notre" paysan de tenter le
coup par l'entrée principale de la colonie.
Avec 10 internationaux, peut-être que cela
passera. Le paysan et son frère, regard
inquiet mais déterminé s'engagent
dans la colonie avec nous et nous entamons une
montée, rapide, stressée et pénible.
Bien évidemment en haut de la montée,
la voiture du garde nous attend. Tensions, voix
qui s'élèvent, deuxième voiture
de garde, appelle à la DCO qui a donné
le permis et pour finir, on arrive à passer.
Et alors là il s'agit de s'activer, il
faut faire tout les arbres, c'est le seul jour
où il est autorisé à récolter
et nous risquons d'être à nouveau
interrompus. Tel un essain, les groupes se répartissent
et partent à la cueillette. Des branches
d'oliviers plongent dans les jardins des colons,
qu'à cela ne tienne, on soulève
les branches et récupérons tout
ce que nous pouvons. Arrivée des soldats
qui demandent les passeports, le permis de cueillette
etc. Après négociation, ils s'en
vont. A 13h, la récolte est achevée.
Les deux frères sont heureux dans la tragédie
qu'ils vivent au quotidien, ce champ est récolté
et pour l'instant épargné par le
couperet des fameux trois ans de non récolte
qui ont pour conséquence que l'Etat israélien
confisque définitivement la terre.
Du coup, on fait entorse au ramadan et ils nous
invitent à boire thé et café
à la maison. Ouf de soulagement pour la
famille.
En fin d'après midi, une partie du groupe
s'en va pour Tulkarem, plus précisément
Irtah. Les 4 autres restent pour la rupture du
jeûne puis le vendredi matin se rendront
à Jerusalem pour leur départ.
Jeudi soir à Irtah, chez notre hôte
de toujours, nous avons la visite de Jamal, directeur
de Stopthewall et sa famille pour le repas de
rupture du ramadan. Ensuite présentation
intimiste sur la terrasse d'un document powerpoint
excellent sur le mur et discussion sur la campagne
de désinvestissement, boycott et sanctions.
Le vendredi nous allons visiter les effets du
mur dans la région de Tulkarem. Nous nous
rendons à Baqa Sharkiye et Nazlet Isa où
les israéliens ont détruit des centaines
de magasins, entrepôts et ateliers en août
2003 pour faire le mur et la zone de sécurité.
Le village de Baqa sharkiyé est séparé
de celui de Baqa Garbiyié à l'ouest
de la ligne verte. Ce sont des villages jumeaux
qui depuis la construction du mur se retrouvent
déchirés. De nombreuses familles
sont séparées. Epouses et époux
ne peuvent voir leur famille de l'autre côté
du mur, les élèves ne peuvent plus
se rendre dans leur école. 45km de détour
jusqu'à la prochaine porte alors que les
villages sont distants de 5 min en voiture et
étaient interdépendants. Et pour
passer la porte il faut une permission alors...
Le tracé de ce bout de mur avait été
modifié la veille de la décision
de la Cour internationale de justice pour faire
bonne figure. Au lieu de laisser les 2 villages
à l'ouest du mur, ils avaient détruit
les 8 km de mur déjà construits
et replacé le mur sur la ligne de 67. Mais
du coup ils ont gentiement séparé
les deux villages. Comment se faire de la pub
sur le plan international, auprès de l'opinion
publique qui n'a pas les cartes sous les yeux
ni une compréhension du terrain, et en
même temps provoquer un désastre
social et économique? Et bien comme cela.
Bravo Israël. Très fort.
Le mur a même coupé des maisons
en deux et utilisé une autre qui a été
intégrée au mur comme tour de contrôle.
Obscène. Immonde.
Comme la journée n'était pas finie,
nous ne nous sommes pas arrêtés en
si bon chemin. Passage à Far'un, village
voisin de Irtah qui a été amputé
d'une partie de ses terres pour construire une
des 9 à 10 zones industrielles prévues
le long de la "nouvelle frontière"
pour avoir des travailleurs bon marché,
autorisés à venir travailler dans
les usines israéliennes complètement
entourées par des barrières, payés
au lance-pierre, et seulement avec une autorisation
qui leur sera donnée s'ils sont de "bons"
palestiniens (pas de martyrs ou blessés
dans la famille etc.). Pas seulement une politique
d'apartheid, on va jusqu'à l'esclavagisme.
Israël, laboratoire de la mondialisation...
Far'un va assister également à
la destruction de 10 maisons, à plusieurs
dizaine de mètres du mur, sous prétexte
"security reasons". La Cour isralélienne
a validé l'ordre de destruction, seul un
accord politique entre l'A.P. et Israel pourrait
inverser cet ordre juridique. Personne n'y croit
vraiment...Larmes aux yeux, palestiniens et nous,
internationaux, avons de la peine à sortir
des mots après tant de preuves du délire
"contrôlé et planifié"
de la politique israélienne d'annexion
et d'occupation. Une fois de plus, c'est le Palestinien
qui rompt le silence et motive tout le monde à
rester unis et forts face à cette violence.
Et celle-ci, selon lui, ne concerne pas que les
palestiniens. C'est une politique globale, mondiale,
qui pourrait toucher chacun d'entre nous. Alors
il faut se relayer et lorsque quelqu'un s'épuise
à lutter, les autres doivent le soutenir,
le relayer et poursuivre son combat.
Comment font-ils pour résister? Pour tenir
le coup quand le cancer du colon confisque 80%
des terres de Deir Isstia et 90% de celles de
Mas'ha? Comment font-ils pour ne pas lâcher
prise? Année après année,
nous les retrouvons, toujours là, prêts
à lutter pied à pied, hectare après
hectare pour que la Nakba ne se reproduise pas.
Et à nous, qui avons énormément
à apprendre d'elles et d'eux, ils nous
insufflent l'énergie, la force pour continuer
ici en Suisse à les soutenir dans leur
lutte et à resister nous-même contre
ce vent d'oppression qui souffle sur les différents
continents.
A chaque fois, on en ressort grandi. A chaque
fois, on est destabilisé. A chaque fois
on se demande quand ils toucheront le fond pour
rebondir et vaincre. A chaque fois, la situation
est pire que la dernière fois; mais à
chaque fois, ils nous parraissent mieux organisés,
plus lucides et c'est bien là l'erreur
que fait Israël. Cette situation ne durera
pas indéfiniement.
A nous aussi de nous organiser. Depuis l'an passé,
la Suisse a fait du bon travail avec Israël.
Acheté du matériel militaire, signé
un pré-accord de collaboration universitaire,
dépensé des millions dans l'initiative
de Genève morte le jour où elle
est née et j'en passe. A nous de travailler
ici, de plus belle et de manière plus organisée
pour tenter de renverser cette tendance.
La suite quand on pourra commencer à analyser
"plus à froid" ce qui s'est passé
en Palestine et en Suisse ces derniers mois et
placer des stratégies.
17e mission civile suisse