Le jeudi 8 octobre 2009 a eu lieu à
Lausanne, à l’initiative du Collectif
Urgence Palestine Vaud (CUP-VD), la 1ere
Conférence en Suisse du Tribunal
Russell pour la Palestine (TRP) en
présence de Stéphane
Hessel, membre fondateur du TRP,
de Luc Recordon, membre
du comité suisse d’appui au TRP2
et de Martine Brousse,
directrice de l’ONG «La voix de
l’enfant». La soirée a rassemblé
environ 250 participants. Interviewé
à l’issue de la réunion
par Pierrette Iselin
du CUP-VD, Stéphane Hessel
a livré son analyse
Qu’est-ce que
le Tribunal Russell?
Son créateur est un grand philosophe
et humaniste, Lord Bertram Russell,
qui, lors de la guerre du Vietnam3
avait réuni des juristes, des philosophes,
des diplomates, afin de constituer un Tribunal
civil destiné à stigmatiser les
exactions commises par les Etats-Unis contre
ce petit pays. C’était une mobilisation
de la société civile internationale.
Son siège est à Londres et il
n’a jamais cessé d’exister.
Aujourd’hui, un Sénateur belge,
Pierre Galand, a jugé nécessaire
de faire usage de ce Tribunal pour la Palestine,
afin de dénoncer les crimes connus à
l’égard du peuple palestinien,
notamment à Gaza, par Israël, mais
aussi la passivité de l’Union européenne
et des Nations Unies, concernant les violations
répétées des conventions
internationales. Il est grand temps d’établir
les responsabilités des uns et des autres
dans ce conflit. Il faut donc réunir
des témoignages irréfutables.
Le Tribunal Russell pour la Palestine mobilise
déjà un nombre significatif de
personnalités internationales4.
Une session importante est prévue en
mars 2010 à Barcelone, visant en premier
lieu les responsabilités de l’Union
européenne.
Combien de temps le
Tribunal va-t-il siéger pour pouvoir
arriver à un résultat?
Il y a urgence. L’horreur de ce qui se
passe en Palestine dure depuis 1948. D’autres
sessions devront examiner les responsabilités
d’Israël, de la Palestine, des Nations
Unies, des Etats-Unis, des Etats arabes et des
multinationales. Une session de synthèse
est prévue si possible dès 2011.
Est-ce que vous pensez
que le Tribunal Russell va renverser la vapeur?
Nous devons être modestes. Les obstacles
à la paix se sont accumulés en
quarante ans. Qu’a fait le Tribunal Russell
pour le Vietnam et en Amérique du Sud?
Il s’est adressé aux citoyens,
aux électeurs des gouvernements concernés.
Ce sera difficile. Mais mon expérience
personnelle, au fil des ans m’a convaincu
que ne rien faire est la pire des solutions.
Le TPR peut être un mobilisateur de l’opinion
publique. C’est une force qui s’affronte
à celle des intérêts particuliers,
du monde de la propagande et du communautarisme,
à celle des intérêts politiques
spécifiques. Il n’est pas sûr
que nous réussissions, mais il faut en
tout cas essayer.
Pensez-vous que la
société civile pourra détourner
les accusations d’antisémitisme
qui lui sont constamment opposées, lorsqu’elle
dénonce les exactions du gouvernement
israélien?
Vous avez raison d’insister là-dessus.
Dès que l’on dit qu’Israël
devrait faire autre chose, on passe pour antisémite.
Il faut que les Juifs du monde entier qui ne
sont pas forcément liés au gouvernement
d'un Etat mais qui sont conscients de l'honneur
des Juifs dans le monde puissent faire connaître
leurs critiques. Nous autres Juifs, nous avons
un très long passé d'honorabilité.
Il ne faut pas que nous acceptions cette situation,
parce qu’un gouvernement constitué
par certains des nôtres se présente
devant la loi internationale d'une façon
qui nous exaspère et qui nous rend malheureux.
Donc, il y a moyen de faire valoir, face à
la façon très lâche, dont
les gouvernements successifs se sont comportés,
une opinion mobilisée qui peut faire
naître un peu plus de sens de l'honneur
et un peu plus de sens de responsabilité
vis-à-vis d'un peuple qui depuis 60 ans
est privé du droit qui figure dans la
charte des Nations Unies, c’est-à-dire
le droit à un Etat.
Vous avez vous-même
été un résistant pendant
la guerre. Est-ce que c’est ce parcours-là
qui vous a encouragé à soutenir
la résistance palestinienne?
Il faut se méfier des analogies historiques.
Ce qui s’est passé pendant la deuxième
guerre mondiale et ce qui se passe aujourd’hui,
c’est une tout autre chose. Mais on peut
dire que l'expérience d'avoir été
en France sous occupation étrangère,
nous rend naturellement solidaires d'un peuple
qui lui aussi est occupé. Il est occupé
par un Etat qui se veut démocratique
mais qui jusqu’ici n'a pas cessé
d’occuper, d’opprimer et de rendre
la vie des Palestiniens impossible.
L’ONU vient
de rendre public le rapport Goldstone sur Gaza.
Qu’en dites-vous?
Le nombre de tentatives pour rendre attentif
Israël aux nombres de violations commises
est impressionnant. Ne nous faisons donc pas
d'illusions: mais le rapport Goldstone tombe
à un moment important. Au début
de cette année 2009 et la fin de l'année
2008, les Israéliens se sont livrés
à des actions particulièrement
meurtrières, des actions qu'on peut considérer
comme des crimes de guerre, des crimes contre
l'humanité. Le rapport Goldstone dit
cela et il le démontre par des faits
avérés. Goldstone est un procureur
intelligent et indépendant, on peut lui
faire confiance. Il a dit tout ce qu'il devait
dire sur Israël et aussi sur le Hamas,
donc c'est un rapport dont on ne peut pas contester
l’objectivité. C'est une étape
de plus pour démontrer qu'il faut vraiment
mettre un terme à l'impunité des
responsables5.
Vous vous êtes
rendu à Gaza avec Madame Hessel en juin
dernier, qu’est-ce que vous avez constaté?
Nous avons pu passer deux jours à Gaza
du 17 au 19 juin 2009. Nous avons pu assister
à deux situations contradictoires:
D’une part, des destructions épouvantables,
des familles totalement décimées,
des enfants, qui ont été visés
et des femmes qui sont mortes, beaucoup d’habitants
qui vivent sous des tentes, dans le dénuement
le plus total, des camps aux intérieurs
misérables et exigus où s’entassent
des familles plus nombreuses en raison des démolitions,
de l’absence d’électricité
et d’eau potable, ce qui constitue un
problème majeur. Mais la vie continue
à Gaza, grâce à l’incroyable
courage de sa population, bien que nul ne se
sente à l’abri d’atteintes
aériennes, terrestres ou maritimes. Gaza
reste debout face à la mer. Avec des
hommes et des femmes décidés à
préserver leurs capacités artistiques,
créatrices et humaines. Cependant, aucun
projet de développement n’est sérieusement
envisageable, tant que le blocus continue. C’est
la première et la plus urgente des exigences
que les démocraties doivent imposer.
La survie d’un million et demi d’êtres
humains en dépend.
Notes:
1.
Stéphane Hessel
est un diplomate, ambassadeur, ancien résistant
et déporté français, qui
a notamment participé à la rédaction
de la Déclaration universelle des Droits
de l’Homme de 1948.
2.
Luc Recordon est avocat
et Conseiller aux Etats du canton de Vaud
3.
Le 13 novembre 1966, dans un discours d’introduction
à la première réunion du
Tribunal Russell sur le Vietnam, Lord Russell
affirmait: “Pourquoi mène-t-on
cette guerre au Vietnam? Et dans l’intérêt
de qui? Nous avons, j’en suis convaincu,
le devoir d’étudier ces questions
et de nous prononcer sur elles, après
une enquête rigoureuse, car ce faisant
nous pourrons aider l’humanité
à comprendre pourquoi un petit peuple
de paysans endure depuis plus de vingt ans les
assauts de la plus grande puissance industrielle
de la terre, dotée des moyens militaires
les plus modernes et les plus cruels”.
(Editions Gallimard, année 67)
4.
L’organisation du TRP est sous la responsabilité
de son Comité Organisateur International.
Le TRP est parrainé par des centaines
de personnalités, parmi lesquelles Ken
Loach, Jean Ziegler, Eric Cantona, Noam Chomsky,
Albert Jaccard, Naomi Klein, José Saramago,
Leila Shahid etc. Pour plus d’informations
voir sous www.russelltribunalonpalestine.org
5.
Après avoir été renvoyé
dans un premier temps par le Conseil des droits
de l’homme en mars prochain, ce Conseil
a finalement adopté le rapport Goldstone
le 16 octobre 2009 par 25 voix pour, 6 voix
contre (dont Israël et les Etats-Unis)
et 11 abstentions alors que cinq pays dont la
France et la Grande Bretagne boycottaient le
scrutin.